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Solitude & Individualisme
Extrait de la revue Magazine littéraire (Hors série) n°12, Octobre-Novembre 2007
Propos du philosophe Thierry Paquot, professeur des universités à IUP (Institut d'Urbanisme de Paris) et éditeur de la revue Urbanisme
Tout individu bien intégré, en pleine possession de ses moyens, est heureux d'un moment de solitude. Cet à -côté de la vie sociale est attendu comme des vacances, une sorte de respiration tranquille, un salutaire face-à-face avec soi-même. Mais il existe une autre solitude, imposée, contrainte, dé-socialisante et dévalorisante, c'est bien celle-ci qu'il convient de considérer dorénavant. En effet, trop souvent les observateurs de la vie en société accordent à la solitude des effets bienfaisants. Ainsi Georg Simmel, dans Sociologie (1908), affirme que « la solitude prend un sens indiscutablement positif comme effet à distance de la société - que ce soit comme un écho de relations passées ou comme l'anticipation de relations futures, comme nostalgie ou comme éloignement volontaire ». Ce sociologue des formes de la socialisation n'oublie pas que ce sont les interactions entre individus qui les façonnent, et constate que « la solitude prend un sens sociologique d'une autre manière dès qu'elle n'est plus une relation qui se produit dans un individu, entre lui-même et un certain groupe ou la vie du groupe en général, mais qu'elle apparaît comme une pause ou une différenciation temporaire à l'intérieur d'une seule et même relation. » L'individu, comme nous le savons, conforte son individualité par l'échange relationnel avec l'Autre. L'absence de réciprocité interrompt le processus de rencontre réelle ou escomptée, et assigne à l'isolement forcé l'un des deux partenaires privé de reconnaissance. Ce genre de dysfonctionnement qui sépare au lieu de rapprocher deux individus est constaté par les théoriciens de l'école de Francfort (Adorno, Horkheimer, Marcuse ... ) lorsqu'ils analysent l'aliénation au sein du capitalisme, et également par ceux qui étudient, plus tard, la « société de consommation » (Henri Lefebvre, Jean Baudrillard, Georges Perec, Jean Duvignaud, Bernard Charbonneau, Ivan Illich ... ) et y repèrent l'émiettement du domaine social et l'insularité obligatoire de chaque individu cantonné à sa bulle. Sans se référer à ces thèmes, d'autres penseurs, au cours des années cinquante, ont insisté sur le conditionnement des individus par la société elle-même qui les oblige à adopter des comportements « individualistes » normés, qui en définitive les dé-singularise. Le sociologue américain David Riesmann (1909-2002) publie, en 1962, The Lone ly Crowd , dont le titre en forme d'oxymore est remarquablement éloquent et souligne l'impossible agglomération d'individus en une foule compacte, active et réactive, mais en une foule elle-même paradoxalement « solitaire », c'est-à-dire en un regroupement artificiel d'atomes désunis qui ne font jamais « ensemble ». Le philosophe allemand Günther Anders (1902-1992) publie DieAntiquiertheit des Menschen en 1956. Son livre est une critique radicale de la technologie, qui dépossède l'homme de son être profond et original, tout en lui faisant croire qu'elle le libère!
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