La tristesse du roi




"La tristesse du roi"
Œuvre de 1952 du peintre et sculpteur
Henri Matisse
(1869-1954)




Texte extrait de l'oeuvre "Spinoza" d’Alain (Émile Chartier)
(1946)
Paris, Editions Gallimard (1949), Collection idées.

Chapitre IV : De l’esclavage de l'homme


(…). La tristesse est le passage à une moindre perfection. La même chose, que j'appelle passage à une moindre perfection, si je considère la puissance d'agir d'un être, je l'appelle tristesse, si je considère la capacité qu'il a d'être heureux ou malheureux. Il ne faut donc pas dire que la tristesse peut être bonne, et qu'elle peut nous rendre plus parfaits. Cela ne peut avoir de sens que dans la cité d'esclaves (…), où les citoyens sont bons et honnêtes dans la mesure où ils ont peur du châtiment. Comme la société serait détruite si les hommes n'éprouvaient la crainte ; la crainte, qui est ainsi la condition de l'existence de la cité, peut être dite bonne en ce sens. Et comme la crainte est une tristesse, en ce sens aussi, la tristesse peut être dite bonne. Et c'est aussi pour cela que les superstitions ou fausses religions, qui ne cherchent point à rendre réellement les hommes meilleurs, mais seulement à contenir leurs passions dans l'intérêt commun, font, de la crainte et de la tristesse, des vertus, comme aussi elles font, de la sécurité et de la joie, des vices, et imaginent un Dieu cruel et jaloux qui se réjouit des larmes et de la terreur des hommes, et qui s'irrite de leurs joies. Sans doute, tant que les hommes ne sont pas conduits par la Raison, il est bon qu'ils soient conduits par la crainte, afin qu'ils fassent à leurs semblables le moins de mal possible. Mais il ne faut pas être dupe de toutes ces conventions utiles, et croire que les hommes valent réellement mieux lorsque, par crainte du châtiment, ils ne cèdent plus à la haine ou à l'envie : ils ont changé d'esclavage, voilà tout.

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