
“Willpower”
Oeuvre de 2001 du peintre Zambien
Kenneth Zenzele Chulu
(1967)
Extrait de l'œuvre de Lucrèce (98-55 avant J.C.)
Si l'on pense que de ces atomes, les plus lourds, emportés plus vite en ligne droite à travers le vide, tombent d'en haut sur les plus légers et produisent ainsi des chocs d'où résultent les mouvements générateurs, on se fourvoie bien loin de la vérité. Ce qui tombe dans l'eau ou dans l'air doit sans doute accélérer sa chute en proportion de sa pesanteur, parce que les éléments de l'eau et ceux de l'air subtil ne peuvent opposer même résistance à tous les corps et cèdent plus vite à la pression des plus pesants. Mais à aucun corps, en nul point, dans nul moment, le vide ne peut cesser, comme le veut sa nature, de céder. Aussi tous les atomes doivent, à travers le vide inerte, être emportés d'une vitesse égale, malgré l'inégalité de leurs pesanteurs.
Jamais donc sur les plus légers ne tomberont les plus lourds, ni ne produiront d'eux-mêmes, avec des chocs, les mouvements divers au moyen desquels peut opérer la nature. C'est pourquoi, je le répète, il faut que les atomes s'écartent un peu de la verticale, mais à peine et le moins possible. N'ayons pas l'air de leur prêter des mouvements obliques, que démentirait la réalité. C'est en effet une chose manifeste et dont l'oeil nous instruit, que les corps pesants ne peuvent d'eux-mêmes se diriger obliquement lorsqu'ils tombent, cela est visible à chacun mais que rien ne dévie en quoi que ce soit de la verticale, qui serait capable de s'en rendre compte? Enfin, si tous les mouvements sont enchaînés dans la nature, si toujours d'un premier naît un second suivant un ordre rigoureux ; si, par leur déclinaison, les atomes ne provoquent pas un mouvement qui rompe les lois de la fatalité et qui empêche que les causes ne se succèdent à l'infini ; d'où vient donc cette liberté accordée sur terre aux êtres vivants, d'où vient, dis-je, cette libre faculté arrachée au destin, qui nous fait aller partout où la volonté nous mène?
Nos mouvements peuvent changer de direction sans être déterminés par le temps ni par le lieu, mais selon que nous inspire notre esprit lui-même. Car, sans aucun doute, de tels actes ont leur principe dans notre volonté et c'est de là que le mouvement se répand dans les membres. Ne vois-tu pas qu'au moment où s'ouvre la barrière, les chevaux ne peuvent s'élancer aussi vite que le voudrait leur esprit lui-même? Il faut que de tout leur corps s'anime la masse de la matière, qui impétueusement portée dans tout l'organisme, s'unisse au désir et en suive l'élan. Tu le vois donc, c'est dans le coeur que le mouvement a son principe; c'est de la volonté de l'esprit qu'il procède d'abord, pour se communiquer de là à tout l'ensemble du corps et des membres. Rien de semblable ne se passe, quand un choc nous atteint et que la violence d'une force étrangère nous fait avancer. En ce cas, en effet, toute la masse matérielle de notre corps se trouve évidemment entraînée, emportée malgré nous et n'est enfin arrêtée dans tous nos membres que par le frein de la volonté. Tu vois maintenant qu'en dépit de la force étrangère qui souvent nous oblige à marcher malgré nous-mêmes, nous emporte et nous précipite, il y a pourtant en nous quelque chose capable de combattre et de résister. C'est ce quelque chose dont les ordres meuvent la masse de la matière dans notre corps, dans nos membres, la refrènent dans son élan et la ramènent en arrière pour le repos.
C'est pourquoi aux atomes aussi nous devons reconnaître la même propriété : eux aussi ont une autre cause de mouvement que les chocs et la pesanteur, une cause d'où provient le pouvoir inné de la volonté, puisque nous voyons que rien de rien ne peut naître. La pesanteur, en effet, s'oppose à ce que tout se fasse par des chocs, c'est-à-dire par une force extérieure. Mais il faut encore que l'esprit ne porte pas en soi une nécessité intérieure qui le contraigne dans tous ses actes, il faut qu'il échappe à cette tyrannie et ne se trouve pas réduit à la passivité : or, tel est l'effet d'une légère déviation des atomes, dans des lieux et des temps non déterminés.
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