L’enfant et le langage





Mother and Child
Oeuvre de 1921 du peintre et sculpteur
Pablo Ruiz Picasso
(1881-1973)






Extrait du livre "L’enfant et le langage"(1934)
par Henri Delacroix (1873-1937)
Collection: Bibliothèque de philosophie contemporaine.
Version numérique réalisée par Diane Brunet.

Chapitre 3: Langue, langage, parole, formulation verbale


L'enfant reçoit une langue, par don gracieux de la société ; une langue, c'est-à-dire « cet ensemble de conventions nécessaires, adoptées par le corps social pour permettre l'exercice du langage chez l'individu ». Sans la communauté linguistique qui la lui fournit il serait bien impuissant à la produire. Sans doute arriverait-il, en société avec quelques semblables, à promulguer quelques conventions linguistiques et à produire quelque chose comme un embryon de langue : langue bien pauvre, comme tout ce qui ne repose pas sur une tradition. Et c'est bien ainsi que le langage a commencé.

Mais cette langue qu'on parle autour de lui, il a besoin d'un apprentissage pour en connaître le jeu, et il ne la conquiert que peu à peu. Elle lui préexiste, elle s'impose à lui et lui survit. Plus complexe est ce système, plus fortement organisé le jeu des valeurs linguistiques, plus délicat est cet apprentissage qui, à vrai dire, dure toute la vie.

Mais sous l'individu, même enfant, il y a l'homme, il y a l'humanité. Avant la langue il y a le langage, c'est-à-dire l'ensemble des fonctions qui construisent et permettent d'utiliser le système de signes, appuyé sur des notions ordonnées par des relations, en quoi consiste toute langue. Toutes les langues, si diverses qu'elles soient, obéissent à certaines exigences fondamentales de la pensée et mettent en jeu un petit nombre de procédés interchangeables qui peuvent se transposer. Sous la variété des formes il y a l'unité des fonctions : une technique universelle sous la variété des usages.

Langue et langage engendrent la parole, c'est-à-dire l'ensemble de ces combinaisons par lesquelles le sujet parlant utilise le code de la langue en vue d'exprimer sa pensée personnelle, aussi bien que le mécanisme psychologique qui lui permet d'extérioriser ces combinaisons.

La parole a donc deux aspects : l'émission phonétique et la formulation verbale. Tout ce qui, dans la langue n'est que latent et virtuel, passe à l'acte dans la conscience du sujet. La langue revient au groupe linguistique, qui l'a enseignée, par l'émission phonétique qui est son commencement et son achèvement.

Ainsi l'homme enfant n'acquiert et ne possède la langue que par le langage et parce que le langage survole et domine la langue ; mais si la langue est en lui d'abord l'œuvre du langage, elle déborde certes le langage par son caractère arbitraire et son historicité ; elle impose au sujet parlant un système de conventions qui semblent ne parler qu'à sa mémoire ; et pourtant s'il s'oriente dans le fouillis des formes, c'est qu'il est porté par le dessin des fonctions.

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