Vivre selon la nature




"Les lois de la nature"
Portrait de Louis Pasteur
Œuvre de 1885 du peintre
Albert Edelfelt
(1854-1905)







Extrait de l'œuvre de Sénèque
"De la vie heureuse" (vers 58 après J.C.)
Chapitre VIII - Traduction d'Antoine Héron de Villefosse


La nature, en effet, est le guide qu'il faut suivre; c'est elle, que la raison observe et consulte. C'est donc une même chose, que vivre heureux et vivre selon la nature. Ce que c'est, je vais le développer : cela consiste à conserver, avec soin et sans effroi, les avantages du corps, et ce qui convient à notre nature, comme choses données pour un jour et prêtes à fuir; à ne pas nous y soumettre en esclaves, et à ne pas nous laisser posséder par les objets étrangers; à reléguer tout ce qui plaît au corps, tout ce qui lui survient accidentellement, comme dans les camps on place à l'écart les auxiliaires et les troupes légères. Que ces objets soient des esclaves, et non des maîtres; c'est uniquement ainsi, qu'ils sont utiles à l'esprit. Que l'homme de coeur soit incorruptible en présence des choses du dehors, qu'il soit inexpugnable, et qu'il n'attache de prix, qu'à se posséder lui-même; que d'une âme confiante, que préparé à l'une et â l'autre fortune, il soit l'artisan de sa vie. Que chez lui la confiance n'existe pas sans le savoir, ni le savoir sans la fermeté; que ses résolutions tiennent, une fois qu'elles sont prises, et que dans ses décrets il n'y ait pas de rature. On comprend, quand même je ne l'ajouterais pas, qu'un tel homme sera posé, qu'il sera rangé, qu'en cela aussi, agissant avec aménité, il sera grand. Chez lui, la véritable raison sera greffée sur les sens; elle y puisera ses éléments ; et en effet, elle n'a pas d'autre point d'appui d'où elle s'élance, d'où elle prenne son essor vers la vérité, afin de revenir en elle-même. Le monde aussi, qui embrasse tout, ce dieu qui régit l'univers, tend à se répandre au dehors, et néanmoins de toutes parts il se ramène en soi pour s'y concentrer. Que notre esprit fasse de même, lorsqu'en suivant les sens qui lui sont propres, il se sera étendu par leur moyen vers les objets extérieurs; qu'il soit maître de ces objets et de lui; qu'alors, pour ainsi dire, il enchaîne le souverain bien. De là résultera une force, une puissance unique, d'accord avec elle-même; ainsi naîtra cette raison certaine, qui n'admet, ni contrariété, ni hésitation, dans ses jugements et dans ses conceptions, non plus que dans sa persuasion. Cette raison, lorsqu'elle s'est ajustée, accordée avec ses parties, et, pour ainsi dire, mise à l'unisson, a touché au souverain bien. En effet, il ne reste rien de tortueux, rien de glissant rien sur quoi elle puisse broncher ou chanceler. Elle fera tout de sa propre autorité : pour elle point d'accident inopiné; au contraire, toutes ses actions viendront à bien, avec aisance et promptitude, sans que l'agent tergiverse; car les retardements et l'hésitation dénotent le trouble et l'inconstance. Ainsi, vous pouvez hardiment déclarer que le souverain bien est l'harmonie de l'âme. En effet, les vertus seront nécessairement là où sera l'accord, où sera l'unité; la discordance est pour les vices.

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