
Extrait de l'oeuvre d'Hubert Reeves
En collaboration avec Frédéric Lenoir Philosophe et sociologue des religions
Frédérique Lenoir
Dans un livre qui a suscité beaucoup de commentaires dans les médias, le Danois Bjorn Lomborg assure que, contrairement aux propos alarmistes des écologistes, la situation de l’humanité ne cesse de progresser.
Hubert Reeves
Les progrès que mentionne Lomborg sont réels. Les économies prospèrent dans toutes les parties du monde. La démocratie et les progrès sociaux gagnent de plus en plus de terrain. La production céréalière s'est considérablement accrue au cours du dernier demi-siècle. La durée moyenne de la vie augmente. La pollution atmosphérique urbaine diminue.
Pourtant il faut ajouter quelques sérieux bémols. Comme nous le verrons au chapitre 3, la production de nourriture mondiale stagne ou est en décroissance depuis près de dix ans alors que, selon les prévisions des démographes, la population mondiale ne plafonnera vraisemblablement pas avant la moitié de ce siècle.
Nombreuses sont les avancées citées par Lomborg qui ne touchent, en fait, que les pays riches. Ainsi la durée moyenne de vie est en forte décroissance dans les pays de l'ex-Union Soviétique et dans ceux de la région subsaharienne (voir chapitre 6). La pollution des villes décroît dans les pays riches, mais empire rapidement dans les pays pauvres. Allez simplement vous promener à Delhi ou à Bangkok, vous regretterez de ne pas avoir un masque à gaz. Avons-nous le droit, du haut de notre confort accru, d'ignorer les quatre cinquièmes de la population humaine?
Mais le point le plus important reste que la plupart de ces avancées se font au prix de la détérioration rapide de l'environnement, qui menace de ne plus pouvoir les supporter. Face au fait que les réserves terrestres ne sont pas infinies, l'expression « croissance économique durable» est une absurdité. L'amélioration des conditions de vie des pays pauvres est en soi une excellente nouvelle. Mais les faits sont là. Si les Chinois et les Indiens avaient autant de voitures par famille que les Américains et les Européens, la consommation de carburant et l'émission de gaz carbonique atteindraient des proportions catastrophiques. À cela s'ajoute l'énorme disparité des niveaux de vie des populations. Moins de 15 % des humains consomment 80 % des réserves naturelles. Le nombre d'êtres humains qui vivent en dessous du seuil de pauvreté s'accroît chaque année. Nous reviendrons sur l'énorme menace que cette disparité fait porter sur l’avenir de la biosphère. Peut-être est-ce là le pire danger.
Un livre comme le sien joue à mon avis un rôle très nocif d'incitation à l'inaction dans une période cruciale où les plus grandes mobilisations sont absolument requises.
Il ne s'agit pas ici, encore une fois, de jouer les prophètes de malheur, mais d'alerter l'opinion publique et les responsables politiques sur les risques catastrophiques auxquels nous nous exposons en continuant d'agir comme si rien de très grave ne pesait sur nos têtes. Il ne faut pas se bercer de l'illusion, héritée du scientisme, que nous trouverons forcément dans le futur les solutions à tous les problèmes qui surgiront. Quand des espèces animales ou végétales disparaissent, il est déjà trop tard. Et si nous sommes un jour confrontés à un emballement incontrôlé de l'effet de serre, il sera aussi trop tard pour sauver l’espèce humaine.
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